Au lendemain de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire et du renouvellement de l’agrément d’Eco TLC, Alain Claudot, directeur général de l’éco-organisme, nous détaille l’impact des mesures sur les entreprises du textile, de l’habillement et de la chaussure, sur le secteur du recyclage et sur le rôle d’Eco TLC. Cette interview est aussi l’occasion de présenter leurs nombreux projets en cours, dont un site dédié à l’éco-conception !
« Nous devons prouver qu’une industrie du recyclage est possible et bénéfique sur tous les plans : environnemental, économique et social ! »
– Pouvez-vous brièvement présenter Eco TLC ? Que signifie l’acronyme TLC ?
TLC fait référence au Textile d’habillement, au Linge de maison et à la Chaussure.
En 2007, la loi a obligé tout metteur sur le marché de TLC neufs destinés aux ménages à contribuer ou à pourvoir au recyclage et au traitement des déchets issus de ces produits, selon le principe de la responsabilité élargie du producteur ou R.E.P.
Les entreprises ont alors décidé de créer, dès 2008, une société de droit privé, à but non lucratif : Eco TLC ! L’objectif était, pour les acteurs de la filière, de répondre évidemment à l’obligation légale, et au-delà de réfléchir collectivement à une nouvelle approche de conception et de production des articles.
Notre mission de prévention et de gestion des déchets de TLC est détaillée dans un cahier des charges défini par les pouvoirs publics.
Plusieurs entreprises, dont Armand Thierry, Beaumanoir, Camaïeu, C&A, Celio, Eram, Etam, Damart, les Galeries Lafayette, Kiabi, Okaïdi ou Vivarte, sont à l’origine de la création de l’éco-organisme, et de nombreuses siègent au Conseil d’Administration en tant qu’associés.
– Vous avez bénéficié, récemment, d’un nouvel agrément. Quel est-il ?
En effet, l’agrément d’Eco TLC a été renouvelé le 20 décembre 2019 pour 3 ans, au lieu de 6 précédemment. Il s’agit donc d’un agrément de transition. Nous devons convenir d’une feuille de route pour la filière qui tienne compte des ambitions inscrites dans la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire.
– Justement, quelles sont les conséquences de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, dite loi AGEC, pour le secteur ?
La loi AGEC donne un cadre et un cap pour une mode plus responsable. Elle promeut une meilleure information du consommateur ou encore le développement du recyclage. C’est un signal fort pour les entreprises !
L’impérative nécessité d’une transformation ne devant pas occulter le sens des réalités, des dispositions et des délais, exigeants mais tenables, ont pu être négociés.
Parmi les sujets les plus impactants et les plus engageants, il y a le plan de prévention et d’écoconception, révisable tous les 5 ans, que les entreprises devront élaborer. Ce dernier donne pour orientation de réduire l’usage de ressources non renouvelables et d’accroître tant l’utilisation de matières recyclées que la recyclabilité même de leurs produits.
– Et pour vous, Eco TLC, qu’est-ce que cela change ?
La loi renforce le rôle d’Eco TLC dans l’accompagnement de la transition écologique, notamment en faisant de l’éco-modulation – c’est-à-dire le principe de bonus-malus ou de prime-pénalité attribué à un produit en fonction de ses caractéristiques – un sujet prioritaire. Nous sommes là pour favoriser, à travers l’éco-modulation du barème des contributions financières, la mise en marché des articles les plus vertueux, notamment en termes de durée de vie et d’incorporation de matières recyclées.
La mise en place, par Eco TLC, d’un « comité des parties prenantes », regroupant metteurs sur le marché, opérateurs, collectivités locales et associations, qui rendra des avis sur le pilotage de l’éco-organisme constitue également un changement important.
– Du fait des nouvelles obligations et du renforcement du rôle d’Eco TLC, la contribution financière des entreprises va-t-elle augmenter ?
Oui, car la contribution financière est principalement liée au coût de gestion des déchets, lui-même proportionnel au volume traité.
Aujourd’hui, le budget d’Eco TLC est de 24 millions d’euros pour près de 200 000 tonnes valorisées, soit environ 120 €/Tonne. A titre de repère, le coût de traitement des déchets ménagers est estimé autour de 200 €/Tonne.
Le volume collecté, trié, et surtout valorisé, doit encore doubler. Dans le même temps, la part d’articles non réutilisables, donc à valeur négative de revente, va s’accroître.
Au vu des nouveaux coûts à couvrir (notamment concernant le traitement des données, la R&D à financer ou les études à réaliser), et la prévention de la production des déchets s’intensifiant, notre conseil d’administration a voté, en décembre, une augmentation de 11% du budget d’Eco TLC. Cette hausse, répartie par notre Comité Barème vers telle ou telle pièce, tel ou tel volume, aura inévitablement des répercussions sur l’évolution du montant de l’éco-contribution.
Eco TLC en chiffres
- Près de 5 000 entreprises adhèrent à Eco TLC.
- Le budget 2020 est de 24 millions d’euros.
- La collecte des TLC usagés représente, début 2020, 38% des quantités mises en marché.
« Nous sommes très mobilisés sur le sujet de l’écoconception ! Nous allons lancer, en avril, une plateforme collaborative dédiée ! »
– Et concernant le sujet de l’éco-conception, cher à Brune Poirson, où en êtes-vous ?
Nous sommes très mobilisés ! Très concrètement, nous nous apprêtons à lancer, dès avril, la première plateforme Web dédiée à l’écoconception !
Son objectif est d’accompagner les marques et leurs équipes Produit vers l’écoconception. Ce sera un outil ouvert et collaboratif qui regroupera l’ensemble des ressources disponibles, des partages d’expérience, des fiches « À vous de jouer », et dont l’enrichissement permanent devrait permettre de répondre à tous les besoins des entreprises !
– Quant à l’affichage environnemental des produits textiles, qui a récemment fait l’objet d’une réunion au Ministère de la Transition écologique et solidaire, comment vous associez-vous au projet ?
Nous suivons attentivement l’expérimentation mise en place au niveau de la France. Parallèlement, nous participons activement au projet d’affichage environnemental européen : le PEFCRs (Product Environmental Footprint Category Rules). Il doit permettre, à terme, un renforcement, très attendu, de l’information consommateur.
– Vous évoquiez une nouvelle feuille de route, et donc la préparation du prochain cahier des charges à l’horizon 2022. Quels en sont les principaux enjeux ?
Notre filière connaît, comme beaucoup, de profondes mutations. Nous alertons depuis plusieurs années sur deux d’entre elles :
- D’une part, les difficultés des professionnels de la récupération des vêtements. Leur modèle s’appuie sur les recettes des articles réutilisables. Or la valeur des articles d’occasion est faible. L’arrivée de nouveaux acteurs et la concurrence qui s’intensifie sur le net peuvent par ailleurs fragiliser de plus en plus l’équilibre économique du secteur.
- D’autre part, le recyclage. Aujourd’hui, en France, il y a une vraie faiblesse dans ce domaine : les outils industriels adéquats sont quasiment inexistants.
C’est pourquoi nous finançons depuis 10 ans, au travers du Challenge Innovation, des projets de R&D au cœur des territoires, qui font avancer la filière tant sur l’écoconception que sur le recyclage. Pour ce dernier, il s’agit aussi bien de raisonner en boucle fermée, pour refaire du TLC, qu’en boucle ouverte, pour un usage destiné à d’autres secteurs : bâtiment, automobile, plasturgie, etc.
Il est en effet urgent d’encourager le développement de la production et de l’incorporation de matières recyclées dans la fabrication. Au-delà, les entreprises doivent travailler à l’allongement de la durée de vie des produits. Nous animons, pour anticiper les nombreux changements touchant la filière, ou pour nous y adapter, des groupes de travail collaboratif sur l’ensemble de ces sujets. C’est essentiel pour avancer collectivement !
– Une pépite R&D ?
Le projet « JEPLAN », pour refaire du fil polyester avec des vêtements usagés, ou le projet « SILENCIO », pour développer des silencieux éco-responsables pour la VMC des logements, mais je vous invite à consulter l’actualité du site d’Eco TLC, où les initiatives des entreprises sont mises en avant ! Vous pouvez également télécharger le magazine « Les Chemins de l’Innovation » qui matérialisent les 44 projets que nous soutenons depuis 10 ans, et dont certains sont des succès. C’est une mine de progrès !
– Les groupes de travail collaboratif, le financement de projets R&D, etc., est-ce suffisant ?
Non, c’est aujourd’hui insuffisant. Il nous faut plus massivement orienter les soutiens financiers pour prouver qu’une industrie du recyclage est possible et bénéfique, tant au niveau environnemental qu’au niveau économique et social !
Heureusement, l’ADEME et le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) vont dans notre sens avec l’appel à projets Investissements d’Avenir Flash Textiles et Chaussures, doté d’environ 10 millions d’euros, destiné à accompagner la filière textiles et chaussures dans sa transformation vers une économie circulaire. En tant qu’éco-organisme du textile et du cuir, Eco TLC a bien entendu été associé aux premières discussions visant à définir des axes stratégiques.
– Qu’en est-il des enjeux de collecte ?
Aujourd’hui, la collecte des TLC usagés représente 38% des quantités mises en marché, ce qui est conséquent mais insuffisant au regard de l’objectif fixé à la filière de 50%, soit 300 000 tonnes.
– Fixé à quel horizon ?
À fin 2019… et donc cette cible est reportée pour les années à venir.
Mais la question de la collecte est accessoire. L’essentiel, ce sont les débouchés en réutilisation, surtout en permettant la transformation des produits en nouvelles matières premières !
– Enfin, qu’attendez-vous des entreprises ?
L’enjeu est de construire une démarche d’économie circulaire dans le domaine des TLC en France.
Nous devons collectivement mieux prendre en compte l’optimisation des ressources tout au long du cycle de vie des produit (du début, par l’écoconception, à la fin, par la capacité à transformer les anciens produits en nouvelles matières premières ; et, entre deux, par l’entretien et la réparation qui augmentent la durée de vie).
Nous devons également poursuivre notre travail collectif, au sein de nos diverses instances, pour construire avec toutes les parties prenantes un véritable projet de filière textile responsable et exemplaire.
Eco TLC et le grand public
Au quotidien, nous orientons les citoyens vers plus de 46.000 points d’apport volontaire, où ils peuvent déposer leurs TLC, via notre site Web « La fibre du tri ». Grâce à lui, ils découvrent pourquoi et comment donner une seconde vie aux produits dont ils n’ont plus besoin. Ils accèdent aussi à beaucoup d’autres informations, et notamment aux initiatives des marques en action.
La campagne #RRR s’adresse également au grand public afin de le sensibiliser à la Réparation, à la Réutilisation et au Recyclage.
La campagne 2019 a fédéré près de 70 entreprises. Une première et un moment fort de ralliement et de prise de parole collective pour les marques !
Nous préparons d’ores et déjà notre nouvelle campagne 2020, qui sera lancée en octobre. Le mouvement s’intensifie avec de nouveaux entrants qui nous rejoignent !