Madame Virginie Thouzery, déléguée aux projets et aux partenariats pour l’AUTF, a participé à la commission RSE de l’Alliance du Commerce sur la réduction des gaz à effet de serre (GES) liés au transport des marchandises et aux activités logistiques. Nous en avons profité pour l’interroger sur le dispositif dédié aux entreprises « FRET21 », les problématiques actuelles et les tendances à venir.
– Bonjour Madame Thouzery. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre association, l’AUTF ?
L’Association des Utilisateurs de Transport de Fret (AUTF) est une organisation professionnelle qui intervient sur le secteur du transport de marchandises et qui rassemble et représente les chargeurs, c’est-à-dire les entreprises, de tous les secteurs d’activité, qui ont des marchandises à faire transporter, tant en amont, pour l’approvisionnement de leurs usines en matières premières, que pour l’aval ou la distribution des produits fabriqués.
Ces entreprises utilisent tous les modes de transport. Maritime ou aérien, pour les activités d’import ou d’export à l’international. Routier, ferroviaire et fluvial, sur le territoire national.
L’AUTF représente ces entreprises également sur toutes les problématiques connexes au transport, aussi bien le commerce international que l’environnement.
– Vous avez lancé « FRET21 ». Pourquoi ce nom et, surtout, en quoi consiste ce dispositif ?
FRET21, initié par l’AUTF et l’Ademe, a été officialisé au moment de la COP 21. Nous avons donc retenu ce nom pour inscrire le dispositif dans le 21è siècle et dans ce contexte de mobilisation globale des entreprises sur la réduction de l’impact environnemental de leur activité. « Fret » concentre la démarche sur le secteur du transport de marchandises.
Ce dispositif a pour ambition d’inciter les entreprises à inscrire le transport de marchandises dans leur stratégie RSE. En effet, nous avons décidé de lancer FRET21 parce que nous nous sommes rendus compte que les entreprises travaillaient sur beaucoup d’opérations dans le cadre de leur politique de responsabilité sociétale ou de développement durable mais que le transport était souvent un parent pauvre de leur stratégie. Concrètement, FRET21 est une démarche volontaire qui aide les entreprises à piloter leur plan d’action de réduction de l’impact environnemental de leurs transports en leur donnant un cadre commun, une méthodologie élaborée par l’Ademe et reconnue par les pouvoirs publics, des outils de calcul et un accompagnement sur mesure.
– La promesse attachée à « FRET21 » est : « Les chargeurs s’engagent ». Comment, concrètement, s’engagent-ils en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au transport de marchandises ?
Les chargeurs doivent faire 3 choses :
- D’abord, au minimum, ils doivent se fixer un objectif de résultat : ils doivent atteindre un objectif de réduction des émissions de GES du transport de 5% sur 3 ans, sur un périmètre minimal qui est le périmètre « Aval France », autrement dit les flux de distribution des chargeurs pour le territoire national.
- Ensuite, ils doivent s’engager à mettre en place des moyens pour atteindre cet objectif
- et suivre chaque année l’avancement de leur plan d’action.
– Cet objectif de 5% est-il généralement atteint ?
L’objectif de 5% est largement atteint par toutes les entreprises bénéficiant du dispositif. Ainsi, nombre d’entre elles s’engagent sur un périmètre bien plus conséquent que le périmètre de base et atteignent des résultats bien supérieurs à 5%.
– Comment parvient-on, avec « FRET21 », à atteindre cet objectif de réduction ?
Dans FRET21, il y a 4 axes pour aider les chargeurs à piloter leur plan d’action : le taux de chargement, la distance parcourue, le moyen de transport et les achats responsables. Le taux de chargement est le levier le plus utilisé par les chargeurs, tant pour optimiser leur logistique que pour réduire l’impact environnemental de leur transport. L’idée directrice est de transporter plus avec moins de moyens, par exemple en mettant plus de produits dans un camion pour avoir moins de camions ! On peut y parvenir notamment en modifiant les fréquences de livraison. Plutôt que d’acheminer tous les jours des marchandises avec un camion à moitié plein, il s’agit d’envisager moins de livraisons dans la semaine mais avec un camion davantage rempli. Il s’agit également d’éviter les retours à vide en organisant mieux son schéma logistique et en travaillant mieux avec ses prestataires transporteurs. Pour le secteur des produits de grande consommation, le retour à vide, qui a un très fort impact, est un véritable enjeu, à tel point que les plans d’action sont travaillés entre industriels. Dans les prochaines années, il est ainsi d’ailleurs certain que la tendance à mutualisation des livraisons entre industriels que nous observons avec FRET21 va continuer à se déployer.
– Quels outils le dispositif « FRET21 » met-il à la disposition des entreprises ?
Le premier outil de FRET21 permet à une entreprise de faire le bilan carbone de son activité transport.
Aujourd’hui, les entreprises suivent une série d’indicateurs (la qualité, le coût, le service, le délai). Avec FRET21, nous leur permettons d’y intégrer le critère carbone.
Le deuxième outil FRET21 leur permet d’aller au-delà en modélisant les gains GES de leurs actions d’optimisation logistique.
Enfin, FRET21 permet de se fixer un objectif de réduction. Tout cela s’accompagne d’un fichier de pilotage, d’un fichier pour chaque action de réduction, et on suit son engagement sur 3 ans.
– Qui est « le meilleur élève de la classe » ?
Leroy Merlin, avec 18% de réduction. Ils ont travaillé sur tous les maillons de la chaîne : avec leurs fournisseurs et leurs clients, en digitalisant leurs opérations, etc. Dans le secteur de la mode, Tape à l’œil se distingue. C’est un vrai projet d’entreprise, qui englobe la RSE, la communication et la supply chain ou chaîne d’approvisionnement.
– Vous parliez de « parent pauvre » de la stratégie RSE. Il y a un manque de considération pour le transport ? Dans ce cas, qu’est-ce qui motive principalement les entreprises à s’adjoindre les services de « Fret21 » ?
Encore récemment, il y a environ 7-8 ans, on ne parlait du transport, dans certaines entreprises, que quand ça allait mal : quand le produit n’était pas arrivé, quand il y avait eu un accident, quand le client n’était pas content… Ainsi, le transport n’était pas forcément bien valorisé dans l’entreprise, bien considéré ou positionné comme une activité stratégique. Or, aujourd’hui, les entreprises se rendent compte que c’est stratégique à plusieurs niveaux : le coût, non négligeable, la qualité de service et la préoccupation environnementale, désormais majeure, liée à la problématique de l’anticipation réglementaire.
La participation de plus en plus grande des logisticiens aux comités exécutifs, en un peu moins de 10 ans, prouve d’ailleurs un changement de vision, d’état d’esprit, considérable et bénéfique ! FRET21 remplit donc 2 objectifs complémentaires : celui d’aider les entreprises à aller plus loin dans la réduction des impacts et celui de valoriser la fonction transport-logistique, dans sa globalité, au sein des entreprises. FRET21 permet aux entreprises d’anticiper les règlementations et d’être prêtes au moment où les obligations s’imposent.
Par ailleurs les entreprises voient dans la notion de neutralité carbone une opportunité de fédérer en interne, d’animer les équipes. De même, s’engager en faveur de la réduction de l’impact environnemental a un effet positif sur la marque employeur. C’est un vrai plus pour attirer de nouveaux talents, de nouveaux collaborateurs, sur cette fonction stratégique.
Du point de vue de la règlementation, la loi Climat & Résilience (article 33), actuellement en discussion au Parlement, va obliger les entreprises qui sont soumises à la déclaration de performance extra-financière (DPEF) à intégrer dans cette déclaration toutes les émissions de GES liées à leur activité de chargeur. En résumé, les émissions de GES des prestataires transports et logistiques devront figurer dans le bilan carbone des enseignes soumises à cette obligation. De plus, il y a pas mal de débats sur ce qui est actuellement incitatif ou déclaratif et qui pourrait, demain, devenir plus contraint, encadré et obligatoire. Il y a donc un vrai intérêt à anticiper !
Enfin, autre élément d’importance : le dispositif, porté par l’Ademe, est reconnu par les pouvoirs publics !
– On parle de livraisons en magasin mais, quand on parle de transport, on ne peut s’empêcher de penser au e-commerce. A-t-il été également un élément déclencheur de la montée en puissance de la fonction transport-logistique ?
Oui, l’explosion du e-commerce a changé la donne. Le consommateur pourrait avoir tendance à voir le e-commerce comme un écran, un ordinateur. En réalité, le e-commerce, c’est avant tout de la logistique !
– Au niveau des transports, relève-t-on des tendances ?
Il y a une tendance, aujourd’hui encore classée parmi les signaux faibles mais qui va prendre de l’ampleur : le transport multimodal (rail/route, route/fleuve). Les entreprises sont à l’affût et à la recherche de solutions qui fonctionnent et qui peuvent s’inscrire dans leur schéma logistique. Il y a également toute une réflexion majeure sur les nouvelles énergies, alternatives au diesel, du fait de la règlementation mise en place et des interdictions en vigueur.
Comment faire émerger une filière électrique, comment faire émerger une vraie filière biogaz, comment déployer l’hydrogène ? Les entreprises se posent toutes ces questions, conscientes que leurs initiatives vont à un moment buter sur des problèmes technologiques. Actuellement, nous n’avons pas les solutions. Il y a donc un enjeu technique très important qui nécessite l’action des industriels et des pouvoirs publics visant à favoriser l’émergence d’infrastructures performantes et d’une offre technique économiquement viable. Enfin, si l’on souhaite accélérer le renouvellement des flottes de véhicules, il faudra, compte tenu des temps d’amortissement, un appui financier aux enseignes et aux transporteurs.
Au-delà de la question des poids lourds et des infrastructures, il y a la tendance de l’innovation, de la digitalisation. Ce secteur en plein bouleversement va avoir, avec l’intelligence artificielle, la mutualisation des données et la digitalisation des opérations de transport, un impact positif sur les nuisances environnementales du transport.
[box]L’éclairage de Guillaume Simonin, Directeur des Affaires Économiques et Juridiques de l’Alliance du Commerce sur la logistique en centre-villeIl y a un mouvement irrépressible dans les grandes villes concernant les mobilités dites « douces ». Or, autant le basculement pourra être rapide concernant la logistique du dernier kilomètre qui nécessite des véhicules utilitaires dits légers (inférieurs à 3,5 tonnes), puisque l’offre existe, autant l’approvisionnement des magasins va continuer à se faire pendant un certain temps avec des poids lourds diesel. Il faut que les collectivités en soient conscientes et que cela ne se traduise pas par une dégradation des conditions de travail des entreprises, des commerçants et des chauffeurs-livreurs, via une insuffisance des aires de livraison ou des horaires de livraison inadaptés. Les coronapistes, ces pistes cyclables initialement destinées à être provisoires, qui ont souvent été aménagées trop vite, sans concertation, ont déjà entraîné dans certains endroits des baisses assez significatives de la productivité des transporteurs parisiens, et parfois même des mises en danger des travailleurs, obligés de se garer n’importe où. Le transport des marchandises et les activités logistiques sont donc un enjeu aussi bien économique que social qui nécessite une meilleure compréhension par les pouvoirs publics de leur fonctionnement et de leurs contraintes, ainsi qu’une meilleure concertation, un meilleur dialogue entre toutes les parties prenantes : citoyens, livreurs, personnes qui réceptionnent en entrepôt, etc. Les marchandises ne tombent pas du ciel et nous nous en sommes bien rendus compte avec le premier confinement ![/box]