Florence Poivey, présidente de la Fédération de la plasturgie et des composites et membre du conseil exécutif du Medef, a mené, pour le compte du patronat, les négociations sur la réforme du système de formation professionnelle. Elle nous livre son sentiment sur cette négociation et dresse les perspectives de la réforme dans le cadre du plan gouvernemental. Pour elle, la formation, en assurant la montée en compétences des salariés, joue le rôle de levier social.
Après l’accord conclu entre les partenaires sociaux, Muriel Pénicaud, a estimé que ce dernier était en deçà des attentes du gouvernement. Pouvait-on aller plus loin, dans le sens souhaité par la ministre ?
Les partenaires sociaux ont engagé les négociations sur la base du document d’orientation transmis par le ministère du Travail. L’accord que nous avons conclu était ambitieux et s’inscrivait dans le cadre fixé par l’exécutif. Le gouvernement a décidé d’aller au-delà, en ouvrant de nouvelles pistes qui ne figuraient pas dans le document initial. Dont acte. Je remarque, avec satisfaction, que dix des douze mesures proposées aujourd’hui par Muriel Pénicaud émanent de l’accord signé par les partenaires sociaux. Il ne s’agit donc pas d’une réelle remise en cause de notre travail de négociation.
Parmi les nouvelles pistes ouvertes par le gouvernement, quelles sont celles qui vous paraissent problématiques ?
Si les propositions gouvernementales ne sont pas globalement en opposition avec celles des partenaires sociaux, deux d’entre elles suscitent un important désaccord. La première concerne la monétarisation du compte personnel de formation (CPF), qui ne sera plus alimenté en heures de formation, mais en euros, crédités directement à la Caisse des Dépôts. Avec l’argent comme référent, le premier réflexe du formateur et de la personne formée sera de se positionner par rapport au coût du programme, et non sur l’efficience de la formation choisie. Or la formation et la construction d’un parcours professionnel ne peuvent être des produits comme les autres. Le gouvernement privilégie une logique d’individualisation renforcée de la formation. C’est une logique que je peux comprendre, mais que je n’approuve pas. Oui à la liberté du salarié dans le choix de son cursus de formation, mais non à une cassure trop marquée entre entreprise et individu. L’autre point de désaccord, qui découle du premier, porte sur la profonde iniquité que la monétarisation du CPF va engendrer. Une formation technique, qui implique l’usage d’outils technologiques ou mécaniques, comme celle d’un conducteur d’engins de chantier, sera nettement plus coûteuse que la formation d’un employé du tertiaire. Tous les métiers ne seront donc pas accessibles avec les mêmes moyens offerts à chacun.
Quel point vous paraît particulièrement positif dans le projet gouvernemental ?
Nous sommes très satisfaits du dispositif prévu pour l’apprentissage. Nous basculons d’un système administré, subventionné, à un processus d’offres et de demandes, ce qui convient parfaitement aux entreprises. N’est-ce pas, d’ailleurs, le principe de base de l’économie ? La levée des contraintes réglementaires facilitera l’embauche d’apprentis. L’employeur pourra, par exemple, recruter tout au long de l’année. Enfin, les centres d’apprentissage bénéficieront d’une plus grande autonomie. Bref, l’entreprise est remise au centre du dispositif d’apprentissage. À cet égard, il est paradoxal que l’État se désengage du système d’apprentissage et se réinvestisse dans celui de la formation.
Comment avez-vous abordé la négociation avec les partenaires sociaux ?
Le Medef a abordé la discussion dans un esprit de continuité par rapport à la profonde transformation du système de formation que nous avions lancée en 2013. Avec la création du CPF, qui offrait de la liberté aux salariés, nous avons changé de paradigme : nous sommes passés d’un concept de coûts, de charges, à celui d’investissement. Pour gagner en compétitivité, il est devenu impératif pour les entreprises d’investir dans la montée en compétences de leurs collaborateurs. C’est avec cette motivation que j’ai mené les négociations au nom du Medef.
Comment voyez-vous la situation évoluer ? Quel rôle entend jouer le Medef dans le cadre du dispositif énoncé par le gouvernement ?
Le projet du gouvernement est encore flou. Certains points pourront, je l’espère, être négociés. Il faut que tous les acteurs de la formation (l’État, les Régions, les partenaires sociaux) se retrouvent autour d’un projet commun, où chacun assumera de vraies responsabilités, dans la plus grande transparence. Par ailleurs, nous souhaitons qu’un marqueur fort de l’accord auquel nous sommes parvenus avec les partenaires sociaux soit préservé. C’est-à-dire que la formation soit une co-construction, un co-investissement avec les salariés, pour jouer son rôle de levier social et de compétitivité. Nous aiderons nos branches, en particulier à travers leur OPCA, à évoluer pour devenir des opérateurs de compétence en grande proximité avec les TPE et les PME.
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